Fortier c. Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie – Les modifications apportées à une police d’assurance collective à l’insu de l’adhérent-assuré lui sont-elles opposables?
FAITS
M. Fortier, chirurgien-dentiste, bénéficie d’une garantie d’assurance invalidité, puisqu’il est assuré en vertu d’une police d’assurance collective détenue par l’Association dentaire canadienne. Il réclame tout d’abord des prestations d’assurance invalidité totale pour une période de huit mois en raison d’un accident de la route survenu le 25 octobre 1997 qui lui a causé un polytraumatisme.
En novembre 1997, l’administrateur de la police d’assurance, soit l’Association dentaire canadienne, lui confirme qu’il bénéficie d’une garantie d’assurance. Il lui transmet un feuillet explicatif sur les périodes de référence suggérées afin de pouvoir calculer le« revenu mensuel moyen gagné » avant l’invalidité, ce qui permettra d’établir le montant de la prestation mensuelle d’invalidité partielle.
Des amendements ont été apportés à la police d’assurance collective le 1er janvier 1997 relativement à la période de référence, mais le feuillet explicatif réfère au texte antérieur et l’assuré a choisi la moyenne la plus élevée de toute période de deux années consécutives au cours de la période de cinq ans immédiatement avant le mois durant lequel l’invalidité a commencé. Il a donc soumis à l’assureur ses informations financières pour les années 1993 et 1994, puisqu’il a fait faillite en 1995.
Le 27 janvier 1998, l’assureur reconnaît l’invalidité de son assuré et lui verse des prestations mensuelles d’invalidité totale de 3 000 $ rétroactivement au 24 novembre 1997, et ce, jusqu’au 23 juin 1998, suivant l’expiration du délai de carence. Puisque cette prestation d’invalidité totale était un montant fixe stipulé au certificat, elle n’était pas assujettie au calcul du « revenu mensuel moyen gagné ».
Le 23 juin 1998, l’assuré retourne progressivement travailler. À ce moment, un représentant de l’assureur l’informe que la police d’assurance a été modifiée le 1er janvier 1997, soit lors de son renouvellement, et qu’en vertu de cette modification, le « revenumensuel moyen gagné » est dorénavant calculé uniquement sur la base des revenus mensuels des 24 mois précédant immédiatement le mois durant lequel l’invalidité a débuté.
Il va sans dire que cette nouvelle façon de calculer le « revenu mensuel moyen gagné »n’avantage aucunement l’assuré, puisque ses revenus au cours des deux années précédant immédiatement son invalidité sont largement inférieurs aux revenus de la période qu’il avait initialement choisie, soit les années 1993 et 1994, antérieures à sa faillite survenue en 1995.
En avril 2004, quoique toujours dans l’attente d’information financière, l’assureur verse à l’assuré un montant de 77 943 $ représentant des prestations d’invalidité partielle pour la période du 24 juin 1998 au 31 décembre 2003, calculées sur la base des 24 mois précédant l’invalidité, soit les mois d’octobre 1995 à octobre 1997, le tout conformément aux modifications apportées le 1er janvier 1997. Par la suite, d’autres montants seront également versés à l’assuré au fur et à mesure que les renseignements financiers requis étaient soumis à l’assureur.
DÉCISION
Afin de cheminer dans son questionnement sur l’opposabilité d’une modification à une police d’assurance collective sans que l’adhérent-assuré ne soit mis au courant, la Cour soulève deux questions : Y a-t-il eu un manquement à l’obligation de renseignement de l’assureur et/ou une erreur administrative rendant la modification à la police d’assurance inopposable à l’assuré? L’administrateur du régime d’assurance collective a-t-il commis une faute engageant la responsabilité de l’assureur ?
D’une part, la Cour rappelle que, dans la relation tripartite entre le preneur, l’assureur et l’adhérent-assuré, ce dernier n’a aucun pouvoir de négociation et que tout changement apporté à la police par le preneur et l’assureur lui est opposable. Elle rappelle ensuite qu’en vertu de l’article 2405 du C.c.Q., certaines modifications apportées à une police doivent être acceptées par l’assuré, ce qui est présumé fait 30 jours après la réception d’un document faisant état de ces modifications. Également, certains auteurs suggèrent une approche développée par la jurisprudence1 et fondée sur le devoir de renseignement de l’assureur. Il y aurait donc une obligation de la part de l’assureur de dénoncer les modifications de fonds apportées à une police d’assurance collective quand l’adhérent-assuré a le choix d’y adhérer ou non.
D’autre part, la Cour fait état des décisions Les Coopérants c. Raymond Chabot Fafard inc.2 et Compagnie d’assurance Standard Life c. Tougas3 dans lesquelles la Cour a jugé qu’il y avait eu erreur administrative et que celle-ci ne devait pas pénaliser l’adhérent-assuré.
En appliquant ces principes au cas en l’espèce, la Cour supérieure juge qu’il n’y a pas eu de manquement à l’obligation de renseignement de l’assureur ni d’erreur administrative de manière à rendre la modification de la police inopposable à l’assuré. Premièrement, elle signale que, contrairement aux affaires Les Coopérants4 et Tanguay5, le changement apporté à la police en 1997 n’avait pas trait à l’admissibilité de l’assuré au régime d’assurance collective et n’avait donc pas pour effet de priver ce dernier d’une garantie d’assurance malgré un paiement de primes.
En effet, le changement concernant la période de référence aux fins du calcul du revenu mensuel moyen et donc, de la prestation mensuelle d’invalidité partielle, n’affectait en rien les conditions de fonds de la garantie d’assurance.
Deuxièmement, la Cour est d’avis que, même si l’administrateur du régime a manqué à son devoir de renseignement auprès des adhérents-assurés en n’informant verbalement M. Fortier qu’au mois de juin 1998 et en ne transmettant un livret à jour à tous les adhérents-assurés qu’au mois de décembre 1998, il ne s’agit pas d’une faute engageant la responsabilité de l’assureur. La Cour en arrive à cette conclusion puisqu’aucune preuve n’a été présentée quant au délai généralement exigé d’un assureur ou administrateur de régime d’assurance collective pour informer les adhérents des modifications apportées aux garanties d’assurance. De plus, même si l’administrateur du régime a laissé croire à l’assuré qu’il pouvait choisir entre deux périodes de référence en lui transmettant à la suite de son accident, soit en novembre 1997, un feuillet explicatif à cet effet, cette erreur ne peut être qualifiée de négligente ou de fautive. En conséquence, elle ne suffit donc pas à rendre la modification de janvier 1997 inopposable à l’assuré puisqu’elle n’est pas causale du préjudice subi par l’assuré, la situation de ce dernier s’étant cristallisée le jour de son accident, soit le 25 octobre 1997.
Au surplus, même si l’assuré argumente que, s’il avait été informé plus rapidement des modifications apportées à sa police, il aurait pu y remédier en obtenant l’étendue de la garantie qu’il demande à la Cour de lui reconnaître, cette dernière décide qu’il n’a démontré aucune probabilité de réalisation de la perte de chance en raison, notamment, de sa situation financière précaire.
COMMENTAIRE
De façon générale, ce jugement nous rappelle que l’adhérent-assuré peut se retrouver dans une situation informationnelle vulnérable si l’on tarde à l’informer des modifications apportées au contrat d’assurance collective. En fait, il réitère certains principes quant au devoir de renseignement de l’assureur tout en évoquant les limites des droits de l’adhérent-assuré. Il rappelle également que, dans l’analyse de ce devoir de renseignement, il est essentiel de considérer la relation tripartite existant entre les parties. Or, dans une telle relation, l’adhérent-assuré n’a aucun contrôle sur les termes de la police et encore moins de pouvoir de négociation.
Ainsi, dans la mesure où la Cour s’interroge sur les délais usuels dans lesquels les adhérents-assurés sont avisés de modifications à la police d’assurance et qu’elle constate qu’aucune preuve n’a été soumise à cet effet, les assureurs et administrateurs de régime devraient se soucier d’être diligents. En outre, dans la mesure où l’adhérent-assuré annonce une preuve selon laquelle il aurait pu obtenir une garantie d’assurance lui permettant de bénéficier d’une protection similaire à celle en vigueur avant les modifications apportées au contrat d’assurance collective s’il avait eu connaissance de ces modifications en temps utile, un procureur avisé, et ce, tant en demande qu’en défense, n’aurait-il pas intérêt à faire la preuve des démarches entreprises par l’assureur ou l’administrateur dans le cadre de son devoir de renseignement ? C’est bien ce que cette décision laisse présager.
Dans le cas en l’espèce, nous sommes d’avis que l’absence de preuve de l’assuré quant à l’étendue de la faute alléguée et quant au lien causal de celle-ci avec le préjudice invoqué a permis au tribunal de conclure à l’absence de responsabilité de l’assureur.
D’autre part, il aurait été souhaitable que la Cour se prononce plus amplement sur l’interprétation de l’article 2405 C.c.Q., plus particulièrement sur le troisième alinéa de cette disposition qui était, à notre avis, au coeur de ce débat. En effet, au moment de ce litige, aucun tribunal ne s’était encore prononcé sur cette difficulté d’interprétation qu’est celle de l’emploi du terme « assuré » à l’alinéa 3 de l’article 2405 C.c.Q., alors que le législateur fait ailleurs dans le Code la distinction entre l’assuré et l’adhérent en assurance collective. Cela pourrait nous porter à croire que cet article ne s’applique pas en assurance collective.
Certes, plusieurs approches ressortent de la doctrine et de la jurisprudence quant au devoir de renseignement de l’assureur et quant à son étendue. Par conséquent, nous profiterions certainement tous d’une précision de la part du législateur sur la portée de l’article 2405 C.c.Q. en assurance collective.