La galerie d’art, l’artiste et l’acheteur: un ménage à trois qu’il importe de bien gérer
À titre de galeriste, vous devez savoir qu’il existe une loi contenant des dispositions d’ordre public que vous n’avez d’autre choix que de respecter. Cette loi, c’est la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs[1], adoptée en 1988 mais encore méconnue aujourd’hui par un grand nombre de galeries d’art et d’artistes.
Le cadre législatif imposé par cette loi est tel qu’une galerie d’art, à titre de diffuseur d’art, a l’obligation de signer, en deux exemplaires, un contrat avec l’artiste qu’elle représente. La loi oblige également les parties à identifier certains éléments dans la convention qu’elles signeront. Il est donc non seulement nécessaire de vous entendre avec les artistes que vous représentez sur les termes d’un contrat qui sera convenable aux parties et qui évitera des sources de différends, mais il est aussi essentiel de prendre le temps de rédiger une entente conforme aux dispositions de la loi afin d’éviter qu’elle soit annulée. Il faut souligner que la loi exige notamment du galeriste qu’il établisse un registre relatif aux œuvres qu’il détient sans en être propriétaire. Ce registre doit contenir le nom du titulaire du droit de propriété de chaque œuvre, une mention permettant d’identifier l’œuvre et la nature du contrat en vertu duquel le diffuseur a la possession de l’œuvre.
La loi requiert également que le galeriste indique dans ses livres, relativement à chaque œuvre pour laquelle il détient un contrat avec un artiste, tout paiement reçu d’un acheteur ainsi que l’information pertinente permettant d’identifier celui-ci. Le galeriste doit aussi rendre compte par écrit à l’artiste au moins une fois par année.
Qui plus est, la loi permet à l’artiste de mandater un expert (comptable agréé) pour que celui-ci examine les livres comptables de la galerie afin de s’assurer qu’il a reçu son dû conformément à l’entente existant entre lui et la galerie d’art. À ce chapitre, il faut quand même souligner qu’un artiste ne pourrait se prévaloir de ce droit après avoir laissé passer une période de plus de trois ans suivant la fin de la relation avec la galerie d’art.
Ayant à interpréter la loi, la Cour d’appel du Québec a récemment affirmé qu’en vertu de la relation inhérente entre une galerie d’art, l’artiste et l’acheteur d’une œuvre d’art, l’artiste est en droit de connaître l’identité de l’acheteur et d’obtenir ses coordonnées. En rendant une telle décision, la Cour d’appel a interprété la loi, qui n’était pas aussi spécifique sur le sujet.
La Cour d’appel précise cependant qu’une galerie d’art et l’artiste qu’elle représente peuvent convenir autrement. Ainsi, il est permis de prévoir, lors de la signature du contrat, que les noms et coordonnées des acheteurs ne seront pas divulgués à l’artiste et demeureront la propriété exclusive de la galerie.
Il s’agit à notre avis d’une question cruciale à laquelle vous devriez porter une attention toute particulière. En effet, la valeur d’une galerie d’art passe nécessairement par son achalandage et le fait de dévoiler le nom de ses clients n’est pas sans risques. Évidemment, il ne faut pas comprendre le jugement de la Cour d’appel comme permettant aux artistes d’utiliser les noms des acheteurs de leurs œuvres comme ils l’entendent. Le fait de remettre à un artiste cette liste de noms ne lui donne certainement pas un droit de propriété sur ces noms. Par exemple, un artiste ne pourrait remettre la liste des acheteurs de ses œuvres des dernières années à son nouveau galeriste en l’invitant à les solliciter pour un éventuel vernissage : agir de la sorte équivaudrait à faire une concurrence déloyale à la galerie d’art qui le représentait jusque-là et cette dernière pourrait entreprendre un recours contre l’artiste et la nouvelle galerie qui le représente.
La relation entre l’artiste et la galerie soulève aussi des questions relatives au respect de la vie privée, aspect que la Cour d’appel a préféré ne pas traiter dans son jugement. Il n’en demeure pas moins qu’un client pourrait souhaiter ne pas voir son nom communiqué sans son consentement et être incommodé par le fait qu’on ait transmis ses coordonnées à un artiste contre son gré.
Par conséquent, il devient plus que jamais primordial de constater par écrit les termes de l’entente entre vous et l’artiste que vous représentez. En prenant soin d’élaborer une convention après avoir réfléchi à tous les aspects de votre relation avec les artistes avec lesquels vous transigez, vous éviterez des écueils dans vos relations d’affaires et limiterez les sources de conflits.
Il nous fera bien sûr plaisir de répondre à toute question que vous pourriez avoir au sujet du présent bulletin et de discuter avec vous des sujets qui vous préoccupent davantage. N’hésitez donc pas à communiquer avec Me Christian Azzam au 514 499-7456.