Communications d’informations dévastatrices à l’assureur – responsabilité d’une chirurgienne plastique discréditant sciemment sa patiente et portant atteinte à sa réputation ainsi que de l’assureur impliqué dans un processus d’enquête partial portant atteinte aux droits fondamentaux de l’assuré
Dubé (Succession de) c. Tardif, [2016] QCCS 1811.
La Cour supérieure condamne in solidum une chirurgienne plastique ainsi qu’une compagnie d’assurance au paiement d’un montant de 40 000 $ pour les dommages et intérêts moraux causés à l’assuré bénéficiaire d’une police d’assurance-invalidité. Ils sont également individuellement condamnés au paiement de dommages et intérêts punitifs au montant de 5 000$.
Le 4 août 2008, la Dre Michèle Tardif (« Tardif ») rencontre Denise Dubé (« Dubé ») afin d’évaluer sa condition physique et de discuter d’une possible reconstruction mammaire. Le 1er janvier 2009, Dubé adhère au contrat d’assurance collective intervenu entre la ville de Montréal et SSQ Groupe Financier (« SSQ »). Aux termes de ce contrat, elle bénéficie d’une protection de salaire en cas d’invalidité de courte durée, de longue durée de base et de longue durée complémentaire.
Le 18 décembre 2009, Tardif procède à la première étape de la reconstruction mammaire de Dubé. Plusieurs rencontres s’en suivent de décembre 2009 à février 2010 notamment afin de procéder aux injections de solution saline requises. Dans le cadre de ces rencontres et bien que Tardif avait noté au formulaire d’assurance-invalidité une incapacité d’une durée indéterminée, le 27 janvier 2010, une de ses résidentes a prescrit un arrêt de travail d’environ 6 mois pour Dubé et ce, sans même consulter Tardif.
Le 24 février 2010, Tardif est contactée par le médecin-conseil de SSQ et lui confirme qu’elle n’a pas prescrit un arrêt de travail de 6 mois pour Dubé et qu’elle a déjà refusé de remplir un formulaire suite à des demandes injustifiées de celle-ci. En mars 2010, Tardif et le médecin-conseil de SSQ s’échangent des correspondances dans lesquelles Tardif suggère que sa résidente a été influencée par Dubé et confirme que celle-ci n’a pas de limitation fonctionnelle pour effectuer du travail clérical. Ainsi, SSQ refuse de lui reconnaître une période d’invalidité allant au-delà du 1er février 2010.
En l’espèce, le comportement de Tardif a déconsidéré Dubé et a terni sa réputation auprès de SSQ, ce qui a incité cette dernière à maintenir ses soupçons à l’effet qu’elle cherchait indûment à bénéficier de prestations d’invalidité. Bien qu’elle était justifiée de communiquer les informations nécessaires pour la gestion du dossier d’assurance, Tardif aurait dû faire preuve de prudence et vérifier avec sa résidente pourquoi un arrêt de travail de 6 mois a été prescrit et ce, avant d’émettre sans aucune réserve les propos dévastateurs mentionnés ci-haut. Qui plus est, il appert des faits que Tardif n’était plus le médecin traitant de Dubé au moment où elle s’est prononcée sur sa limitation fonctionnelle en mars 2010, signifiant qu’elle aurait dû faire preuve de prudence avant d’émettre ces commentaires. Tardif aurait dû savoir que des commentaires aussi péremptoires discréditeraient la réclamation de Dubé auprès de SSQ.
Pour ce qui est de SSQ, ayant reçu un nouveau certificat médical faisant état de l’incapacité totale de Dubé, le 12 avril 2010, elle a demandé à des enquêteurs de procéder à sa filature pour une durée de trois jours. Cette filature s’expliquait, entre autres, par le fait que SSQ avait reçu plusieurs certificats médicaux émanant de différents médecins relativement à l’invalidité de Dubé, par la divergence d’opinions, par des soupçons à l’effet que Dubé aurait falsifié certains rapports et par le fait qu’il était difficile de la rejoindre par téléphone.
La cour est d’avis que SSQ ne cherchait plus à analyser objectivement la réclamation de Dubé, mais visait plutôt à confirmer ses soupçons à l’effet qu’elle tentait indûment de bénéficier de prestations. Une compagnie d’assurance doit agir de façon équitable dans son évaluation d’une réclamation et, pour ce faire, la bonne foi de l’assuré doit être présumée. En l’espèce, SSQ a clairement manqué d’objectivité et fait preuve d’abus de droit en colligeant et en interprétant les faits afin de lui permettre de valider sa décision de ne pas prolonger la période d’invalidité. SSQ s’est écartée de façon marquée et choquante du comportement raisonnable généralement acceptable d’un assureur.
SSQ n’a jamais établi qu’elle avait des motifs sérieux et raisonnables de douter de l’honnêteté de Dubé. Elle n’était pas justifiée de procéder par filature et aurait pu tout simplement procéder à une contre-expertise. Cette filature a porté atteinte aux droits fondamentaux de Dubé. Finalement, en plus de refuser systématiquement les demandes de prolongation de Dubé, SSQ n’a jamais fait d’efforts afin de lui exposer la faiblesse de sa réclamation.