Incendie d’un commerce de bar et spectacles – souscription d’assurance sur l’immeuble auprès d’un courtier – rapport d’évaluation erroné – détermination de la responsabilité du courtier et de l’évaluateur
Maison Jean-Yves Lemay Assurances inc. c. Bar et spectacles Jules et Jim inc., [2016] QCCA 1494.
La Cour d’appel doit déterminer si, dans le cadre d’une mauvaise évaluation de l’immeuble réalisée par un évaluateur, le courtier ayant assuré l’immeuble incendié est responsable des dommages découlant de cette faute dans l’évaluation.
La majorité des juges accueille l’appel et conclut que le juge de première instance a erré en condamnant exclusivement Louis-Charles Warren et La Maison Jean-Yves Lemay Assurances inc. (collectivement le « Courtier ») à assumer les dommages subis par Bar et Spectacles Jules et Jim inc. (l’« Assuré ») pour les erreurs effectuées par l’évaluateur Légaré (l’« Évaluateur ») dans son rapport.
Les faits
En juin 2010, lors du renouvellement de la couverture d’assurance par l’Assuré, le Courtier lui recommande de faire procéder à une évaluation de l’immeuble. L’Assuré fait alors appel à l’Évaluateur pour ce faire.
Le rapport de l’Évaluateur recommande de porter la couverture de 424 000 $ à 565 000 $. Or, celui-ci est livré au Courtier durant la période estivale des vacances et finalement personne n’a fait le nécessaire pour transmettre le rapport à l’assureur afin d’augmenter la couverture de l’Assuré.
Malheureusement, le 23 juillet 2010, un incendie ravage l’immeuble de l’Assuré et celui-ci reçoit une indemnité de l’assureur du montant maximal de sa couverture, soit 424 000 $. Il s’avère que ce montant est nettement insuffisant puisque l’ensemble des coûts de démolition et reconstruction atteignent plus d’un million de dollars. Les coûts sont admis par les parties.
La Cour d’appel doit donc se pencher uniquement sur la responsabilité tant du Courtier que de l’Évaluateur.
Les obligations du Courtier et de l’Évaluateur
Un courtier a une obligation de renseignement et de conseil auprès de ses clients et doit agir avec prudence et diligence. Cette obligation doit s’apprécier eu égard aux circonstances, selon le degré de connaissance de l’assuré.
La recommandation que fait le Courtier à son assuré de procéder à une évaluation s’inscrit dans l’obligation de conseil qui lui incombe, mais la décision de la faire réaliser ou non appartient à l’assuré, tout comme la décision de l’étendue et de la nature de la protection à laquelle il souscrit.
L’évaluation de l’immeuble ne relève pas de la compétence du courtier. Il en résulte que sous réserve du respect de son obligation de renseignement et de conseil, il ne peut être tenu responsable des dommages liés à une mauvaise évaluation.
Quant à l’évaluateur, il est régi par les dispositions du Code des professions et du Code de déontologie de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec.
Les fautes du Courtier et de l’Évaluateur
Le Courtier a commis les fautes suivantes : retard à entamer les démarches en vue du renouvellement de la police; défaut de renseignement à l’égard des frais de démolition; retard à mandater un évaluateur suite à la demande de l’Assuré; défaut d’effectuer un suivi dans le processus d’évaluation; omission de traiter avec diligence le rapport de l’Évaluateur.
L’Évaluateur admet les fautes ci-après : ne pas avoir considéré qu’une partie de l’immeuble est à usage commercial lors de son évaluation; ne pas avoir fait mention des frais de démolition; ne pas avoir effectué des recherches relatives aux normes applicables en cas de reconstruction de l’immeuble. Ces fautes ne lui ont pas permis de faire une évaluation juste qui aurait été de 714 845 $, ainsi que des frais de démolition de 84 020 $.
Le lien de causalité
La Cour constate donc qu’il existe deux fautes distinctes. Il s’agit alors de déterminer s’il y a eu une rupture du lien de causalité entre la faute de l’Évaluateur et les dommages subis par l’Assuré suite au défaut du Courtier de s’assurer de la transmission du rapport à l’assureur.
La majorité de la Cour d’appel conclut que chaque faute contribue aux dommages de l’assuré et est reliée à des dommages individuels précis.
En effet, la principale erreur du Courtier est de ne pas avoir transmis le rapport de manière diligente. Néanmoins, même s’il l’avait fait, il n’aurait pas été en mesure de s’apercevoir de l’erreur dans l’évaluation. Conséquemment, la Cour estime que le Courtier doit assumer les dommages consistants entre la différence de l’évaluation (525 000 $) et le montant assuré (424 000 $), soit 141 000 $.
De plus, quant aux frais de démolition, même si l’Évaluateur avait dû en tenir compte dans son rapport, cela n’écarte pas l’obligation de conseil du Courtier à cet égard qui aurait alors dû conseiller à son client de les ajouter. Le juge de première instance avait estimé qu’un courtier prudent et diligent aurait conseillé d’ajouter 8 % au montant de la couverture, soit ici 45 200 $.
Considérant que le Courtier a admis sa responsabilité à ce sujet et a même d’ores et déjà payé cette somme, la Cour ne s’est pas prononcée sur le partage de responsabilité et la solidarité avec l’Évaluateur.
Relativement à l’Évaluateur, la Cour conclut qu’il est seul responsable dans la mauvaise évaluation de l’immeuble, laquelle n’a pas été effectuée selon les règles de l’art. En conséquence, celui-ci est responsable de la différence entre le montant de l’évaluation qu’il aurait dû faire incluant les frais de démolition (798 865 $) et celui qu’il a estimé (565 000 $), soit un montant de 233 865 $ auquel la Cour déduit la somme payée par le Courtier pour les frais de démolition (45 200 $), soit un solde de 188 665 $.
Finalement, la Cour estime que l’erreur du Courtier dans son omission de transmettre le rapport d’évaluation à l’assureur n’absout pas l’Évaluateur de sa faute et ne crée pas une rupture de la causalité. En effet, il s’agit plutôt d’une aggravation des dommages subis par l’assuré. De plus, il serait contraire aux principes de la responsabilité civile de faire assumer des dommages ne découlant pas de sa faute par le Courtier. Enfin, une telle décision serait contraire aux rôles et obligations de ces deux professionnels, notamment à l’effet que le Courtier n’est pas garant de la valeur des biens déterminée par le client ou l’évaluateur.
En conséquence, la Cour infirme le jugement de première instance et accueille l’appel du Courtier.