La Cour d’appel donne une leçon de droit aux écoles de ski
La Cour d’appel a récemment confirmé la condamnation de Stations de la Vallée de St Sauveur inc.1 à verser à un skieur et à sa famille la somme totale de 2 705 166 $, en plus des intérêts et des frais, pour des dommages subis à la suite d’un accident de ski.
Cet accident étant survenu durant une leçon de ski, la Cour a analysé la responsabilité qui incombe à l’école de ski et, plus particulièrement, à ses moniteurs.
Nous vous proposons d’abord de revoir les faits entourant cette affaire pour ensuite analyser les décisions de la Cour supérieure et de la Cour d’appel.
LES FAITS
Le 12 janvier 2003, un garçon de 9 ans participe à sa première leçon de ski au Mont Olympia, où il est inscrit dans une leçon de groupe, avec huit autres enfants du même âge.
Il s’agit de sa première journée de ski de la saison et sa toute première expérience au Mont Olympia. La saison précédente, il avait suivi des cours de groupe à titre de débutant à la station du Mont Chanteclerc. Outre ces leçons, il avait fait quelques descentes, toujours accompagné de son père.
Sa monitrice, âgée de 17 ans, a reçu (en décembre 2002) sa certification Niveau 1 de l’AMSC. Ce jour-là, elle donne sa première leçon à un groupe d’enfants. Jusqu’alors, elle n’avait donné que des cours privés à des débutants.
À 13h15, le cours débute et la monitrice regroupe seule les neuf enfants, avec qui elle fera environ trois descentes avant d’entreprendre la dernière, peu avant 15h00. Jusqu’à ce moment, le groupe s’est montré assez homogène et le garçon n’a pas eu de difficulté particulière.
La monitrice envisage de descendre la piste Olympia, connue comme étant la « bunny hill ». Une des filles du groupe pleure et refuse obstinément de descendre. La monitrice tente de la réconforter mais n’y parvient pas. Elle suggère donc aux huit autres enfants du groupe de descendre la piste seuls pour aller rejoindre leurs parents qui devaient normalement se trouver au point de ralliement. Elle ne donne alors aucune instruction particulière. Les enfants s’élancent sur la piste et l’attention de la monitrice est alors entièrement consacrée à la skieuse récalcitrante.
Le jeune garçon a été vu skiant en parallèle plutôt qu’en chasse-neige, entrant à toute vitesse dans le bois, après avoir traversé l’emplacement où le T-Bar était situé.
Il a été rejoint par les secouristes qui l’ont retrouvé gisant au sol, son casque de sécurité fendu en deux, semi-conscient et sérieusement blessé. Dans l’ambulance, son cœur arrêta de battre pendant dix-huit minutes avant qu’il ne soit réanimé. Il demeura presque treize jours dans le coma et n’a regagné sa résidence qu’au mois de mai, après une multitude de traitements. Une preuve imposante des séquelles de cet accident fut présentée à la Cour, afin de soutenir le montant des dommages réclamés.
JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE
En février 2008, la juge Zerbisias a décidé que la monitrice avait enfreint son devoir de sécurité envers les enfants, en n’adoptant pas de mesures adéquates dans de telles circonstances, alors qu’elle avait l’obligation de les guider et de les protéger durant la période où on les lui avait confiés. La Juge a conclu que les fautes commises par la monitrice étaient à la source même de l’accident et justifiaient donc les dommages réclamés par le jeune garçon et sa famille.
La Juge s’est appuyée, entre autres, sur les éléments suivants :
- La piste choisie, bien qu’idéale pour les débutants, pouvait représenter un défi, voire un danger pour un enfant. À preuve, une petite a refusé de la descendre et un garçon s’y est blessé sérieusement. Elle a donc refusé de considérer l’argument proposé par la partie défenderesse à l’effet que la piste était très facile et large, qu’une telle chute n’était donc pas prévisible et, ainsi, que cet événement devait être considéré comme un simple accident dont elle ne pouvait être tenue responsable.
- La monitrice n’a jamais tenté d’obtenir de l’assistance d’une autre personne, que ce soit un autre moniteur, un patrouilleur ou même un adulte qui passait par là. D’ailleurs, elle n’avait aucun appareil avec elle qui aurait pu lui permettre de communiquer, comme un walkie-talkie ou un cellulaire.
- La monitrice n’a donné aucune instruction aux enfants sur la direction à prendre, et surtout à ne pas prendre, la vitesse à adopter, les arrêts fréquents à faire, le leader du groupe à suivre, etc.
- La présence d’enfants susceptibles d’être imprévisibles commandait une supervision accrue.
- Bien que le ski constitue une activité qui comporte des risques, l’obligation de prendre les moyens nécessaires pour que cette activité s’exerce en toute sécurité a été bafouée. Dans ce cas précis, si la monitrice était demeurée avec le groupe, le garçon l’aurait en toutes probabilités suivie en faisant des virages en chasse-neige, des arrêts fréquents et aurait contrôlé sa vitesse. En le laissant partir seul et sans balise, la monitrice ne pouvait plus prétendre avoir pris les moyens nécessaires pour assurer la sécurité de cet enfant qui lui avait été confié. L’enfant a plutôt été abandonné à lui-même.
JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL
S’appuyant sur des décisions déjà rendues en pareilles matières, la Cour d’appel réitère que l’exploitant d’un centre de sport qui accueille le public contre rémunération doit, en retour, prendre toutes les précautions utiles pour assurer la sécurité des participants. Pour la Cour, il en va de même pour une école de ski qui doit faire en sorte que les élèves demeurent en sécurité durant la leçon.
Ainsi, tout contrat avec une école de ski contient une obligation implicite d’assurer la surveillance et la sécurité des élèves. C’est une obligation qui fait partie du contrat même si elle n’y est pas explicitement prévue. La Cour rappelle qu’il s’agit d’une obligation de moyens qui force les écoles de ski à prendre des « précautions raisonnables » afin d’assurer la sécurité de ses élèves.
Elle reconnaît également qu’il est vrai qu’il peut y avoir acceptation des risques liés à la pratique du ski par les parents qui inscrivent leurs enfants à des cours de ski. Cependant, cette acceptation se limite aux risques prévisibles ou inhérents au ski. Les risques et les accidents dus à un manque de surveillance ou de vigilance des moniteurs ne peuvent pas faire l’objet d’une acceptation des risques.
Bien entendu, la Cour reconnaît que l’attention du moniteur envers un élève sera plus constante selon qu’il s’agisse d’un cours privé ou d’un cours de groupe. Cependant, il est entendu que l’école de ski a le devoir de ne pas laisser l’enfant seul et sans aucune assistance de son moniteur. Ainsi, en cas d’accident et afin d’éviter d’être tenue responsable des conséquences de celui-ci, l’école de ski devra être en mesure de démontrer que toutes les mesures de sécurité ont été prises afin d’éviter sa survenance.
QUELQUES RÉFLEXIONS
Force est de constater que les cours de groupe donnés aux enfants par des moniteurs qui, la plupart du temps, ne sont encore que des adolescents, constituent en soi un risque énorme pour une école de ski et sa station.
Bien sûr, les parents aussi ont un rôle à jouer, en procurant à leurs enfants un équipement adéquat et sécuritaire mais surtout, en leur donnant des consignes de sécurité et ce, dès leurs débuts.