L’obligation de défendre de l’assureur : son appréciation par le tribunal
Le 19 décembre 2012, la Cour supérieure a rendu une décision intéressante sur la question de savoir quels éléments peuvent être analysés par la Cour pour conclure à l’obligation de défendre de l’assureur.
Dans l’affaire Immeubles Stageline inc. c. Distribution Tapico inc.1, la Cour supérieure a conclu à l’obligation de défendre de l’assureur en faisant preuve de souplesse et en s’autorisant à analyser de la correspondance échangée entre l’assureur et son assuré.
Depuis les principes établis par la Cour suprême dans l’arrêt Progressive Homes Ltd.2, on peut se demander quels sont en principe les éléments que le tribunal doit analyser pour apprécier l’étendue de l’obligation de défendre de l’assureur.
Le contexte
L’entreprise Distribution Tapico inc. s’était engagée à fournir de la colle adhésive et à installer des tapis dans la bâtisse appartenant à Immeubles Stageline inc.
À la suite des travaux, cette dernière a constaté une odeur anormale et irritante affectant la qualité de l’air qui, selon son expert, était causée par la dégradation de la colle adhésive fournie par Distribution Tapico inc.
Immeubles Stageline inc. a donc poursuivi Distribution Tapico inc. et son assureur, Aviva Assurances Inc. (« l’assureur »), en réclamation du coût de remplacement des tapis et des autres dommages subis. Pour sa part, l’assureur a nié couverture et refusé d’assumer la défense de Distribution Tapico inc. (« son assuré »).
La question en litige
La seule question en litige était de décider si l’assureur avait l’obligation de défendre son assuré.
Les principes de droit applicables
La Cour supérieure a d’abord rappelé que les principes relatifs à l’obligation de défendre de l’assureur ont été énoncés par la Cour suprême en 2010 dans l’arrêt Progressive Homes Ltd.
Dans cet arrêt, la Cour suprême avait notamment établi que « [l]’assureur est tenu d’opposer une défense si les actes de procédure énoncent des faits qui, s’ils se révélaient véridiques, exigeraient qu’il indemnise l’assuré relativement à la demande. »
Mais dans son appréciation de l’obligation de défendre, la Cour est-elle limitée aux seuls « actes de procédure »? La Cour supérieure semble dire que non.
L’analyse
Pour décider si l’assureur avait l’obligation de défendre son assuré, la Cour a d’abord déterminé que la réclamation relative aux tapis présentée par Immeubles Stageline inc.était visée par la notion de « dommage matériel » définie dans la police d’assurance des entreprises (CGL) en litige.
La Cour a ensuite interprété les exclusions « Votre produit », « Vos travaux » et « Rappel de produits, travaux ou bien défectueux » qui étaient invoquées par l’assureur pour nier couverture.
Dans son interprétation de ces clauses, la Cour s’est autorisée à examiner, au-delà de la demande et des pièces produites à son soutien (dont le rapport d’expertise de la demanderesse), de la correspondance échangée entre l’assureur et son assuré, soit de la preuve considérée comme « extrinsèque » au dossier de la Cour.
Au terme de son analyse, la Cour a refusé d’opposer l’exclusion « Vos travaux » à l’assuré sur la base d’informations qui étaient contenues dans un échange de courriel entre l’assureur et son assuré à l’effet que les travaux avaient été exécutés par un sous-traitant de l’assuré et non par ce dernier.
Conclusion
Considérant la simple possibilité de protection de la police d’assurance des entreprises (CGL) en litige concernant les dommages réclamés par Immeubles Stageline inc., la Cour supérieure a ordonné à l’assureur de prendre faits et cause pour son assuré et d’assumer sa défense dans la présente instance.
Cette décision n’a pas été portée en appel.
La preuve dite « extrinsèque » est-elle fréquemment admise par les tribunaux?
Une revue de la jurisprudence et de la doctrine des dernières années nous révèle que le critère de base établi par la Cour suprême dansProgressive Homes Ltd. pour apprécier l’étendue de l’obligation de défendre de l’assureur, soit l’analyse des « actes de procédure », n’est pas clairement défini par la jurisprudence mais que sauf circonstances exceptionnelles, les « éléments » examinés par le tribunal pour déterminer si un assureur est tenu ou non d’assumer la défense de son assuré sont les allégations de la requête introductive d’instance et les pièces produites à leur soutien.
Selon nous, la Cour supérieure a fait preuve de souplesse dans l’affaire Immeubles Stageline inc. c. Distribution Tapico inc. Mais que justifiait en l’espèce le caractère exceptionnel de cette analyse ?
La Cour supérieure a opiné que la preuve dite « extrinsèque » n’est pas irrecevable pour apprécier l’étendue de l’obligation de défendre de l’assureur lorsque l’exclusion d’une telle preuve mènerait à une injustice envers l’assuré.