Lorsque l’opportunité l’emporte sur la loyauté – Départ inattendu d’un employé – Obligation de loyauté de l’employé – Concurrence déloyale – Délai de congé – Ordonnance Anton Piller – Débours – Qu’est-il possible de réclamer suite au départ d’un employé ?
J. Anctil inc. (Groupe Anctil, division environnement) c. Raymond, 2018 QCCS 3793.
Le présent litige oppose J. Anctil, faisant également affaire sous le nom de Groupe Anctil, division environnement (ci-après : « la demanderesse » ou « Anctil ») à Stéphane Raymond (ci-après « le défendeur » ou « Raymond ») et Excavation St-Césaire Inc., faisant également affaire sous le nom Centre Jardin St-Césaire (ci-après : « la défenderesse » ou « Centre Jardin »). Les questions à trancher sont celles de savoir ce qu’il est possible de réclamer suite au départ inattendu d’un employé et en matière de concurrence déloyale, ce qui constitue de l’information confidentielle et s’il est possible de se faire rembourser les honoraires extrajudiciaires de l’avocat.
Les faits
La demanderesse œuvre dans le milieu de la vente et de la distribution de produits et systèmes de traitement des eaux usées, de drainage, d’aqueduc et de ponceaux pour les entrepreneurs. La défenderesse œuvre dans le même domaine et est une concurrente directe de la demanderesse. Le défendeur était un employé de la demanderesse de 2008 à 2011 et ensuite de 2014 à 2017 avant de passer chez Centre Jardin.
Chez Anctil, Raymond occupait le poste de conseiller en ventes. Il avait donc une relation directe avec les clients. Dans le cadre de son travail, Raymond avait accès à des informations à caractère confidentiel, dont la liste des clients et fournisseurs, leurs coordonnées, les prix pour les clients ainsi que les arrangements spéciaux avec les clients.
À partir du 10 février 2017, alors qu’il est toujours à l’emploi de la demanderesse, Raymond conserve de l’information privilégiée, telle de l’information sur les fournisseurs, les clients et les produits vendus par Anctil. Le 15 février 2017, il quitte son emploi de façon inattendue emportant chez le concurrent Centre Jardin les informations privilégiées qu’il avait conservées.
Au début du mois de mai 2017, une employée de la demanderesse apprend qu’il y a de bonnes chances que Raymond ait subtilisé des informations confidentielles avant de quitter l’entreprise. En visionnant les enregistrements vidéo du magasin, elle constate que Raymond a effectivement copié des données provenant du système informatique avant de quitter son emploi. Le 10 mai 2017, Anctil présente une demande d’ordonnance d’injonction provisoire de type Anton Piller qui lui sera accordée. Les résultats de la saisie confirment que Raymond et Centre Jardin ont en main des informations et des renseignements sur les activités d’Anctil, notamment sur leurs fournisseurs et clients, les prix de vente des produits, les ententes avec certains clients, les prix d’achat des produits auprès des fournisseurs, etc… Par la suite, une injonction interlocutoire provisoire sera accordée à la demanderesse ainsi qu’une ordonnance de sauvegarde.
Anctil requiert le versement d’une indemnité du défendeur vu l’absence de délai de congé donné par celui-ci au sens de l’article 2091 du Code civil du Québec. De plus, elle soutient que Raymond a violé son obligation de loyauté prévue à l’article 2088 du Code civil du Québec, que Centre Jardin a agi de mauvaise foi et lui a fait concurrence déloyale, qu’elle doit être dédommagée pour la perte de productivité liée au départ inattendu de Raymond et qu’elle a droit au remboursement des frais d’enquêteur privé, de ceux des avocats superviseurs et informaticiens lors de l’ordonnance de type Anton Piller ainsi que des honoraires extrajudiciaires de ses avocats.
Analyse et décision de la Cour
Afin de décider si Raymond a violé son obligation de loyauté et de ne pas faire usage d’information confidentielle prévue à l’article 2088 du Code civil du Québec, la Cour doit définir ce qui constitue de l’information confidentielle. Le tribunal retient que le terme « information confidentielle » fait référence à de l’information nouvellement conçue qui n’est pas librement accessible à toute personne la désirant. La confidentialité est appréciée de façon objective (en vérifiant que cette information n’est pas accessible à tous ceux qui y sont intéressés) et de façon subjective (en vérifiant que le détenteur de cette information croit qu’elle n’est pas de caractère public, mais plutôt confidentiel et qu’il y ait une volonté que l’information reste confidentielle). L’honorable Sylvain Provencher tranche que les listes de clients et fournisseurs ainsi que des documents identifiants les prix coûtants auprès des fournisseurs constituent des écrits à caractère confidentiel.
En plus de devoir prouver qu’il était bel et bien question d’information confidentielle, la demanderesse devait prouver que cette information était utilisée par Raymond et Centre Jardin. En l’espèce, il ne fait aucun doute que Raymond s’est servi de ces informations. En effet, dès son arrivée chez Centre Jardin, il confectionne des documents à partir de ces informations confidentielles afin de donner un avantage concurrentiel à Centre Jardin. Celui-ci peut alors offrir une meilleure opposition à Anctil. Le Tribunal soutient également que la seule détention d’information confidentielle crée une présomption d’usage illégal et qu’il revenait à Raymond et Centre Jardin de la repousser, ce qu’ils n’ont pas réussi à faire. Il y a donc eu concurrence illégale.
Raymond était un employé de la demanderesse en vertu d’un contrat à durée indéterminée. L’article 2091 du Code civil du Québec prévoit une obligation de donner un délai de congé avant de mettre fin au contrat de travail. Cette obligation incombe autant à l’employé qu’à l’employeur. Le tribunal en vient donc à la conclusion que Raymond devait donner un délai de congé raisonnable à la demanderesse et ne pouvait quitter son emploi comme il l’a fait. Un délai de congé de six semaines est justifié dans les circonstances, ce qui représente une somme de 4 560$.
Le tribunal fait également droit à la réclamation de la demanderesse pour perte de productivité suite au départ de Raymond. Il s’agit d’une compensation pour troubles, ennuis et inconvénients résultant directement de la subtilisation d’informations confidentielles et de l’usage de celles-ci. Le tribunal accorde 5 000$ à la demanderesse.
La demanderesse requiert également d’être remboursée pour les frais d’avocats superviseurs et des informaticiens ayant participé à l’exécution de l’ordonnance Anton Piller. La lecture du nouvel article 339 du Code de procédure civile n’énumère pas les frais d’exécution comme frais de justice. Toutefois, le Tribunal conclut que l’avocat superviseur et l’informaticien sont des experts au sens de l’article 231 du Code de procédure civile. Le remboursement des honoraires des avocats superviseurs et des informaticiens à titre de frais de justice est donc accordé pour un montant de 28 722,11 $.
Afin de décider si la demanderesse peut obtenir le remboursement des honoraires extrajudiciaires de ses avocats au montant de 82 208,40$, la Cour applique le raisonnement de l’arrêt Viel de la Cour d’appel. Règle générale, une partie ne sera pas compensée des honoraires payés à son avocat pour faire valoir ses droits. Cependant, dans le cas où une partie abuse de son droit d’ester en justice, il y a un véritable lien de causalité entre la faute et le dommage, ce qui ouvre la porte au remboursement des honoraires extrajudiciaires de l’avocat. Puisque les défendeurs ont refusé de reconnaître leur tort à partir de l’ordonnance de type Anton Piller et puisqu’ils ont continué le débat judiciaire, le tribunal estime raisonnable d’attribuer 10 000$ pour le remboursement des honoraires des procureurs de la demanderesse.
La Cour accueille la demande, ordonne à Raymond et Centre Jardin de cesser d’utiliser ou de divulguer toute information confidentielle obtenue de la demanderesse, condamne Raymond au paiement d’une somme de 4 560$ à la demanderesse, condamne Raymond et Centre Jardin solidairement à payer 15 000$ à la demanderesse, le tout avec les frais de justice comprenant les frais d’avocats superviseurs, d’informaticiens et des huissiers pour l’exécution de l’ordonnance Anton Piller.