Négligence policière – Le droit des parents de réclamer réparation de pertes pécuniaires et non-pécuniaires suite au décès de leur enfant – Délai de prescription de trois ans – La Ville ne peut échapper à son obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui en invoquant un délai plus court
Montréal (Ville) c. Dorval, 2017 CSC 48
Les parents de la victime, D, assassinée par son ex-conjoint, réclament des dommages à la Ville de Montréal (ci-après : « Ville ») en sa qualité de commettante des policiers. La Ville prétend que le recours est prescrit en vertu du délai de préavis de six mois prévu à la Loi sur les cités et villes (ci-après : « LCV »).
La question est de déterminer si le recours des parents est fondé sur « l’obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui » au sens de l’article 2930 du Code civil du Québec (ci-après : « C.c.Q. »), dans quel cas le délai de droit commun de trois ans s’appliquerait en l’instance.
Les faits
Le présent recours est intenté par les parents de D, assassinée par son ex-conjoint après que celle-ci eu rapporté aux services de police les menaces de mort proférées à son endroit par ce dernier. Les demandeurs réclament de la Ville en tant que commettante des policiers, des dommages-intérêts en réparation des pertes pécuniaires et non pécuniaires subies suite à la négligence des policiers. Selon eux, ces derniers n’auraient pas assuré la sécurité de D en ne faisant pas de suivi approprié. La Ville riposte avec une requête en irrecevabilité au motif que tout recours intenté contre elle doit l’être dans les six mois du jour donnant naissance au droit d’action en vertu de l’article 586 LCV.
En première instance, la juge donne raison à la Ville et en vient à la conclusion que le recours est prescrit. Selon elle, les parents n’ont pas eux-mêmes subi de préjudice corporel et ne bénéficient donc pas du délai de prescription de trois ans prévu au C.c.Q. Le délai de six mois prévu à la LCV fait donc échec à leur droit d’action.
La Cour d’appel infirme cette décision et affirme que le recours des parents est « fondé sur l’obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui» : c’est donc le délai de droit commun qui s’applique. Le préjudice subi par les victimes par ricochet doit être qualifié selon sa source et non selon la nature des chefs de dommages réclamés.
Analyse et décision de la Cour
La Cour suprême souligne qu’aux fins d’interprétation de l’article 2930 C.c.Q., toute demande en justice afin d’obtenir une réparation pour les conséquences directes ou indirectes d’une atteinte à l’intégrité est basée sur l’obligation prévue au C.c.Q. de réparer le préjudice corporel causé à autrui. Cet article a comme objet la protection de l’intégrité de la personne et l’assurance de la pleine indemnisation des victimes et doit, de ce fait, recevoir une interprétation large et libérale. La Cour précise qu’il y a lieu de qualifier la nature du recours en fonction de l’atteinte initiale subie par la victime. On ne doit pas se fier aux chefs de dommages réclamés afin d’identifier le fondement de l’action.
En l’espèce, l’acte fautif est l’omission des policiers d’assurer la sécurité de la victime après que celle-ci les ait informés qu’elle faisant l’objet de menaces de mort. C’est cette inaction, selon les parents, qui aurait eu comme conséquence le décès de D et qui constitue le fondement du recours. Il s’agit inévitablement de l’atteinte la plus exécrable à l’intégrité d’une personne. Les chefs de dommages pour préjudice moral et matériel réclamés par les parents (solarium doloris, frais funéraires, perte de soutien affectif) sont des répercussions du décès de D. Il s’agit de conséquences immédiates et directes de cette atteinte à l’intégrité. Les demandeurs sont en droit de réclamer leurs pertes pécuniaires et non pécuniaires, sans pour autant que le recours en devienne un fondé sur la réparation du préjudice moral ou matériel. Les parents de D bénéficient donc du délai de prescription de droit commun de trois ans. Leur recours n’est pas prescrit.
