Poursuite-bâillon – Liberté d’expression – Un acte de procédure visant à limiter un débat d’intérêt public est abusif
9264-3212 Québec inc. c. Provencher, 2017 QCCQ 8234
9264-3212 Québec inc. (« Habitations Lussier ») réclame 25 000$ à quatre personnes, dont Provencher, à titre de dommages-intérêts pour la perte de deux ventes de maisons et atteinte à la réputation.
Les faits
Habitations Lussier est une entreprise spécialisée dans le développement de nouveaux quartiers résidentiels. À ce titre, elle développe un quartier qu’elle nomme le Faubourg Cousineau.
Elle vend aux défendeurs quatre de ces habitations avec la mention « Infrastructures locales incluses à 100% ». Après la prise de possession de leurs maisons, les défendeurs reçoivent, à leur grande surprise, des comptes de taxe sectorielle variant entre 20 000$ et 60 000$ selon la résidence qu’ils ont acquise. Cette taxe leur est imposée par la municipalité afin de financer l’installation d’infrastructures locales, bien que les défendeurs croient que ces coûts sont à la charge de la demanderesse.
Peu de temps après, certaines personnes, dont l’identité est inconnue à ce jour, distribuent des tracts dans le quartier. Il y est fait mention des recours potentiels qui pourraient être engagés, du nom de l’Association des résidents du Faubourg Cousineau (l’« Association »), ainsi que de la date de la première réunion.
Un site web est créé sur lequel se retrouvent, notamment, les noms de diverses personnes intéressées par un poste au C.A. de l’Association. Quatre de ces cinq personnes sont poursuivies dans le cadre du présent dossier.
Suite à la distribution des tracts, Habitations Lussier met en demeure les défendeurs de corriger ou de fermer le site et de distribuer un pamphlet correctif. Ces derniers retiennent les services d’un avocat et offrent une conciliation. De plus, ils retirent leurs noms du site web.
En raison du refus des défendeurs de se conformer à chaque demande, Habitations Lussier intente le présent recours contre chacun d’entre eux. Les défendeurs demandent que la poursuite soit déclarée abusive, car elle constitue une poursuite bâillon.
Analyse et décision de la Cour
La Cour note que l’art. 51 C.p.c. lui permet de déclarer, d’office ou sur demande, un acte de procédure abusif. Il incombe à la partie qui demande que l’acte soit déclaré abusif de le démontrer sommairement. Une fois cette démonstration faite, il y a renversement du fardeau de preuve et le demandeur doit prouver que son acte de procédure n’est pas déraisonnable et est bien fondé en droit.
La Cour mentionne que la distribution de tracts est un moyen licite de propager de l’information d’intérêt public. D’ailleurs, il suffit qu’une portion de la population ait un intérêt dans un débat pour qu’il soit d’intérêt public. Il ne fait aucun doute, selon la Cour, que la question intéresse le public puisque plus de 100 personnes se sont présentées à la première réunion de l’Association.
De plus, la Cour réaffirme les enseignements de la Cour suprême : la liberté d’expression en matière de questions d’intérêt public a préséance sur le droit à la réputation.
La Cour conclut que le présent recours a pour but de limiter indûment la liberté d’expression des défendeurs dans un débat public. Habitations Lussier n’a pas prouvé que sa poursuite était bien fondée en droit. Ainsi, la Cour se doit d’intervenir promptement et de rejeter le recours d’Habitations Lussier.
La Cour accueille la demande des défendeurs, condamne la demanderesse à payer 5 000$ à chacun d’eux à titre d’honoraires extrajudiciaires et leur réserve le droit de parfaire le montant de leurs dommages moraux et punitifs.