Responsabilité civile – Succession – Une succession est tenue d’indemniser les filles du défunt pour des sévices commis durant leur enfance
L.P. c. Succession de G.P., 2017 QCCS 2583
L…P… et R…P… demandent respectivement 2 276 835$ et 175 000$ à titre de dommages-intérêts à la succession de leur père G…P… (« Succession ») pour des sévices subis dans leur enfance.
Les faits
L.P. et R.P. sont les filles de G.P et sont nées en 1972 et 1973. Au cours de leur enfance, les deux sœurs sont victimes de sévices de la part de leur père. Les deux sœurs gardent le secret des agressions de leur père jusqu’en octobre 2014.
À ce moment, leur père accusé d’attouchements sur la fille trisomique de sa conjointe de l’époque et cité à procès.
G.P. décède en novembre 2014. L.P. et R.P. font parvenir une mise en demeure à la succession le 17 avril 2015. La demande introductive d’instance est signifiée le 31 août 2015.
Les deux sœurs racontent la violence physique, psychologique et sexuelle dont elles ont été victimes de la part de leur père au cours de leur enfance. Elles témoignent du climat de violence et de secret qui régnait dans la famille à cette époque. L.P. est maintenant invalide des suites de ces sévices et a vécu une vie personnelle très tumultueuse. Pour sa part, R.P. a vécu une vie personnelle plus stable, mais a également souffert des sévices.
Le récit de L.P. et R.P. est contredit par les frères et sœurs de G.P. mais la Cour rejette leur témoignage.
Analyse et décision de la Cour
La première question sur laquelle la Cour statue est de savoir s’il existe une faute de la part de G.P. pouvant mener à l’octroi de dommages-intérêts. À l’aide des témoignages recueillis lors de l’instruction, la Cour en vient à la conclusion que L.P. et R.P. ont démontré la présence d’abus physiques, psychologiques et sexuels de la part de leur père G.P.
La deuxième question en litige porte sur la prescription et l’impossibilité d’agir de la part des sœurs. La Cour énonce tout d’abord que l’impossibilité d’agir peut être psychologique et qu’une telle impossibilité mène à la suspension de la prescription extinctive. Le rapport d’expertise préparé pour les demanderesses en vient d’ailleurs à la conclusion que les sœurs étaient dans l’impossibilité d’agir en raison des séquelles psychologiques liées aux sévices subis.
De plus, la Cour mentionne qu’en matière de délits sexuels, la victime peut avoir besoin d’un plus long délai pour prendre connaissance du lien de causalité entre l’acte et le préjudice subi. La prescription n’était donc pas acquise lors de la signification de la demande introductive d’instance.
La Cour conclut que les sœurs ont réellement pris connaissance du lien de causalité en octobre 2014 lorsque leur père a été cité à procès. La Cour conclut que le rapport d’expert qu’elles ont obtenu démontre qu’elles gardent des séquelles psychologiques, dont le degré de sévérité varie, des suites des sévices subis.
Au niveau de l’évaluation des dommages, la Cour détermine que le déficit anatomo-physiologique de L.P. se situe à 15% et celui de R.P. à 5%. Au niveau des dommages pécuniaires de L.P., la Cour établit que le taux d’actualisation soumis par cette dernière est supérieur au taux prévu par la loi pour les dommages futurs. La Cour rappelle qu’il est impossible d’aller au-delà du taux prescrit par la loi qui se situe à 2%. La Cour accorde donc à L.P. 1 524 828,02$ pour ses pertes passées et futures et 35 708$ pour les coûts de son traitement psychologique, le tout à titre de dommages pécuniaires.
Quant aux dommages non pécuniaires, il accorde respectivement à L.P. et R.P. les sommes de 100 000$ et 35 000$. L’écart entre les sommes est justifié par la différence du déficit anatomo-physiologique.
Finalement, la Cour reconnaît l’existence d’atteinte illicite et intentionnelle au droit à l’intégrité physique protégée par la Charte. La Cour précise qu’il est possible de condamner une succession à des dommages exemplaires, car cela coïncide avec l’objectif de dissuasion associé à de tels dommages. Pour ces raisons, la Cour accorde 25 000$ à chaque sœur à ce titre.