Un employeur peut-il renoncer au délai congé que lui donne un salarié démissionnaire en vertu de l’article 2091 du Code civil du Québec?
Dans l’arrêt Asphalte Desjardins inc. c. Commission des normes du travail 1, la Cour d’appel répond par l’affirmative à cette question en indiquant que l’employeur peut renoncer à son délai congé et en précisant que cette renonciation n’entraîne pas l’application de l’article 82 de la Loi sur les Normes du Travail. 2.
En d’autres mots, lorsqu’un employeur refuse le préavis donné par un salarié démissionnaire, ce dernier ne devient pas éligible au paiement d’une indemnité suivant les articles 82 et 83 de la L.N.T.. Mais attention, la Cour d’appel souligne au passage qu’un employeur qui abuserait de son droit à la renonciation du délai congé pourrait en être tenu responsable en vertu du C.c.Q..
Les faits :
Dans cette affaire, le salarié concerné fut à l’emploi d’Asphalte Desjardins inc. de 1994 à 2008. Le 15 février 2008, le salarié a remis à son employeur une lettre de démission dans laquelle il lui a offert de travailler 3 semaines supplémentaires afin de finaliser ses dossiers. Cependant, le 19 février 2008, l’employeur a décidé de ne pas se prévaloir des 3 semaines offertes et a mis fin au contrat de travail du salarié. Suivant cette décision de l’employeur et en se fondant sur les articles 82 et 83 de la L.N.T., le salarié a décidé de réclamer, par l’entremise de la Commission des normes du travail, les 4 semaines de salaire prévues pour un salarié de 5 ans à 10 ans de service continu.
L’analyse :
La réclamation de la Commission des normes du travail a été partiellement accueillie par la Cour du Québec le 19 juillet 2010. Ce jugment a été porté en appel par Asphalte Desjardins inc..
La Cour d’appel, pour les motifs énoncés par l’honorable juge Bich, a accueilli l’appel et rejeté la réclamation de la Commission des normes du travail. La juge Bich écrit :
« Bref, je suis d’avis 1° que l’employeur peut librement (que ce soit d’avance, au moment de l’annonce de la rupture ou même par la suite) renoncer au préavis que le salarié démissionnaire est tenu de lui donner en vertu de l’article 2091 C.c.Q. et que 2° ce faisant, il ne se trouve pas à mettre fin au contrat de travail au sens de l’article 82 de la Loi, qui n’a pas d’application en pareil cas. » 3
Cependant, la juge Bich a aussi ajouté ce qui suit:
«Je ne nie pas non plus que l’intérêt du salarié démissionnaire dans le délai de congé qu’il donne est sans doute accessoire juridiquement, mais peut néanmoins être important pour lui (encore que les préavis auxquels sont tenus les salariés soient ordinairement assez courts). On peut penser, par exemple, à la situation du salarié qui, six ou douze mois avant d’atteindre l’âge de 65 ans (ou un autre âge), annonce à son employeur qu’il prendra sa retraite le jour de son prochain anniversaire ou à celui qui doit quitter son emploi en vue de s’occuper d’une personne malade et donne en conséquence un préavis de son départ. On se rebiffe tout naturellement contre l’idée qu’en pareil cas l’employeur puisse renoncer au préavis et priver ainsi le salarié d’une rémunération sur laquelle celui-ci pouvait légitimement compter. Mais sauf une intervention législative, qui est sans doute souhaitable, il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 82 de la Loi à une situation comme celle de l’espèce. Par ailleurs, en attendant une telle intervention législative, on peut penser que l’employeur qui, en pareil cas, se conduirait de cette façon, abuserait de son droit à la renonciation, au sens des articles 6, 7 et 1375 C.c.Q., et pourrait en être tenu responsable. »4
Par conséquent, il sera intéressant de voir si le législateur interviendra suivant la suggestion de la Cour d’appel.