Un faux projet d’investissement tourne au vinaigre! – Action collective – Fraude – Assurance – Quelle est l’utilité d’un plaidoyer de culpabilité lors d’un procès en droit civil québécois ?
Brown c. Roy, 2019 QCCS 534.
Dans la présente affaire, le tribunal est saisi de deux actions collectives opposant David Brown (ci-après : «le demandeur» ou «Brown») en tant que représentant d’intérêts collectifs et François Roy (ci-après : «Roy»), Marc Jémus (ci-après : «Jémus»), ainsi que Lloyd’s Underwriters (ci-après : «Lloyd’s»). Les principales questions à trancher sont celles de savoir s’il est possible de retenir la responsabilité des défendeurs Roy, Jémus et Lloyd’s, si les plaidoyers de culpabilité dans un procès criminel peuvent constituer un aveu extrajudiciaire dans un procès en droit civil, si les exclusions de la police d’assurance peuvent trouver application et quel montant peut être accordé à titre de dommages.
Les faits
Au début des années 2000, plusieurs personnes rencontrent Monsieur François Roy. Celui-ci leur présente alors un projet immobilier intéressant tout en leur promettant de faire fructifier de façon exponentielle leur REER. C’est dans ce contexte que le demandeur et plusieurs autres individus y investissent une partie importante de leurs économies personnelles.
Le stratagème frauduleux consistait à faire transférer les sommes des investisseurs dans un compte REER autogéré pour ensuite acheter des actions de compagnies gérées par Roy. Jémus était le planificateur financier comptable et s’occupait des transferts des REER ainsi que des résolutions des sociétés pour l’émission d’actions. Roy transférait ensuite des sommes provenant de ces compagnies vers d’autres sociétés. Le plan était d’investir les montants dans des projets immobiliers. Seulement une infime partie des sommes était véritablement investie dans ces projets et, à terme, ces montants se sont volatilisés.
Le préjudice subi par les membres de l’action collective est très important. Plusieurs perdent une grande partie de leurs économies, doivent repousser le moment de leur retraite et accumulent les problèmes financiers et personnels.
La compagnie Lloyd’s est poursuivie à titre d’assureur d’une compagnie pour laquelle Jémus travaillait comme représentant en valeurs mobilières au sens de la Loi sur la distribution de produits et de services financiers.
Analyse et décision de la Cour
Les deux défendeurs Roy et Jémus ont été reconnus coupables, notamment de fraude suite à des procès au criminel. La Cour supérieure retient que les plaidoyers de culpabilité de Roy et Jémus sont admissibles en preuve à titre d’aveux extrajudiciaires afin de démontrer que leur responsabilité civile doit être engagée puisque les faits à la base du recours collectif sont identiques à ceux du procès criminel. Le tribunal accorde une grande importance aux aveux extrajudiciaires, en se basant en grande partie sur les condamnations dans les affaires criminelles et retient la responsabilité de Roy et Jémus.
En vertu du Code civil du Québec, les membres du recours collectif pouvaient poursuivre directement Lloyd’s. Le lien contractuel entre Jémus et la compagnie pour laquelle il agit comme représentant en valeurs mobilières est démontré. Jémus agissait alors comme mandataire de la société que Lloyd’s assurait. Même si Jémus outrepasse ses fonctions et vend un produit pour lequel il n’est pas autorisé, il reste un représentant de la compagnie et la responsabilité de celle-ci entraîne l’application de la police d’assurance émise par Lloyd’s.
Lloyd’s invoque les exclusions relatives aux actes frauduleux, malhonnêtes ou criminels que l’on retrouve à la police d’assurance. La Cour ne retient pas cette prétention puisque la compagnie qu’assurait Lloyd’s n’a pas commis les actes reprochés. Ceux-ci ont été commis pour Jémus à titre de mandataire et la compagnie assurée n’a pas participé directement à la fraude.
Pour déterminer le montant des dommages, le tribunal applique l’article 1611 du Code civil du Québec qui prévoit que les dommages-intérêts doivent compenser la perte subie et le gain dont Brown et les autres membres du recours collectif ont été privés. Les pertes en capital pour les membres du recours sont évaluées au montant de 8 136 839 $ et les pertes en rendement à la somme de 7 573 862 $. Cette perte découle directement du stratagème frauduleux mis en place. Quant aux dommages pécuniaires, le tribunal retient les conséquences importantes pour les membres du recours collectif. Sur ce chef de dommages, le tribunal accorde un montant variant de 10 000 $ à 25 000 $ par individu.
La Cour accueille l’action collective contre Roy, Jémus et Lloyd’s et les condamne solidairement au paiement du montant de 15 710 701 $ tout en limitant la condamnation de Lloyd’s au montant de la limite de couverture prévue à la police d’assurance pour un montant de 1 170 250,42 $.