Un médecin incohérent communique avec un assureur en cachette – Assurance invalidité – Communications entre médecin et assureur – Responsabilité – Quelles sont les obligations du médecin et d’un assureur invalidité?
Tardif c. Succession de Dubé, 2018 QCCA 1639
Appel d’une décision de la Cour supérieure condamnant la Dre Tardif et SSQ Groupe Financier (ci-après : « SSQ » ou « assureur ») à payer des dommages-intérêts à Madame Denise Dubé (ci-après : « Mme Dubé » ou « patiente ») pour atteinte à la dignité et à l’honneur, douleurs physiques et morales, souffrances, inconvénients, humiliation, stress et inquiétude ainsi que des dommages punitifs.
Les faits
Mme Dubé travaillait à la Ville de Montréal. SSQ est l’assureur collectif de la ville de Montréal et la Dre Tardif est une chirurgienne plasticienne spécialisée en reconstruction mammaire post-oncologique.
Suite à une reconstruction mammaire effectuée par la Dre Tardif sur Mme Dubé, plusieurs problèmes de santé surviennent. En effet, le 19 décembre 2009, Dre Tardif affirme qu’une période d’invalidité de quatre semaines serait suffisante. Le 13 janvier, Dre Tardif signe un formulaire indiquant une période d’invalidité indéterminée. Lorsqu’elle revoit Mme Dubé le 27 janvier et les 10 et 24 février 2010, Dre Tardif ne discute pas avec la patiente de sa capacité à retourner travailler. Le 12 mars 2010, plus de 12 semaines après l’opération, Dre Tardif informe SSQ qu’un délai d’invalidité de quatre semaines suite à l’opération était suffisant.
Sur la question des limitations fonctionnelles, la Dre Tardif communique avec SSQ concernant la capacité de Mme Dubé à reprendre le travail puisque celle-ci ne présente aucune limitation fonctionnelle. Dre Tardif n’a cependant pas vérifié préalablement la capacité de la patiente d’effectuer les tâches relatives à son emploi.
Le 18 mars 2010, SSQ mentionne à Mme Dubé qu’elle refuse de prolonger sa période l’invalidité au-delà du 1er février 2010. Mme Dubé mentionne alors son désaccord à l’assureur. Sans attendre l’avis de médecins sur la question de l’invalidité, SSQ décide de référer le dossier au service des enquêtes et de procéder à une filature.
La succession de Mme Dubé prétendait, en première instance, que la procédure suivie lors de l’intervention chirurgicale n’était pas conforme. La succession de Mme Dubé soutenait que celle-ci était entièrement nue lors de la chirurgie, que Dre Tardif avait manqué d’empathie envers elle en désignant son piercing comme étant une « chose » et qu’un résident avait manipulé son sein sans être ganté au préalable. Selon la succession, ces faits permettaient d’obtenir un dédommagement. La succession de Mme Dubé alléguait également que l’incohérence de Dre Tardif sur la question de l’invalidité de Mme Dubé lui a causé un préjudice. De plus, la succession de Mme Dubé reprochait à SSQ son manque de communication et le fait d’avoir préféré procéder à une filature plutôt qu’à une contre-expertise.
En première instance, la juge a retenu certaines des prétentions de la succession et a condamné in solidum la Dre Tardif et SSQ au paiement de dommages-intérêts moraux au montant de 40 000$ et a condamné la Dre Tardif et SSQ à des dommages punitifs à la hauteur de 5 000$ chacun.
Analyse et décision de la Cour
La Cour d’appel débute en mentionnant que le malaise de Mme Dubé relié à l’apparence de ses seins ne constitue pas un motif d’atteinte à la dignité par la Dre Tardif. À la lumière du dossier, la Cour renverse la conclusion du jugement de première instance selon laquelle Mme Dubé était nue et debout durant la phase préopératoire et conclue donc qu’il n’y avait pas atteinte à la dignité. La même conclusion s’applique concernant les termes utilisés par Dre Tardif pour désigner le piercing de la patiente. Finalement, puisque le fait de relever le sein de la patiente sans porter de gants médicaux n’engendre aucun risque de contamination et qu’il faut analyser la situation en fonction de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances, il ne s’agit pas non plus d’une atteinte à la dignité et à l’honneur de la patiente. Sur ce sujet, la Cour conclut donc que Dre Tardif n’a pas commis de faute et qu’aucun dommage pour atteinte à la dignité et à l’honneur n’aurait dû être accordé pour cette cause d’action.
Toutefois, la Cour retient l’incohérence de Dre Tardif quant à la chronologie de l’invalidité. Le fait que Dre Tardif décide le 12 mars 2010 que Mme Dubé pouvait retourner au travail le 16 janvier 2010 (quatre semaines après l’opération) après avoir mentionné le contraire auparavant ne relève pas d’un comportement prudent et diligent d’un médecin. La Cour mentionne également que dans le cas où un patient autorise un médecin à communiquer avec une compagnie d’assurance, celui-ci doit le faire ouvertement. De cette façon, le médecin doit informer sa patiente de ses communications avec l’assureur d’autant plus lorsque celles-ci peuvent avoir un impact important sur le dossier de l’assuré. Se fondant sur les deux derniers motifs, la Cour en vient à la conclusion que la Dre Tardif a commis une faute et que les dommages moraux sont justifiés.
En ce qui a trait à SSQ, la Cour d’appel confirme qu’elle a commis une faute et que les dommages moraux sont appropriés en l’espèce. L’article 1375 du Code civil du Québec prévoit que les parties à une obligation doivent se comporter de bonne foi. En matière assurantielle, les tribunaux ont établi le principe de la plus haute bonne foi entre les parties. Un assureur a donc l’obligation d’agir équitablement dans son processus d’enquête. En l’espèce, SSQ devait investiguer plus profondément avant de confirmer sa décision de ne pas prolonger les indemnités et de déclencher le processus d’enquête et de filature, notamment au moyen de suivis médicaux. Le comportement de SSQ constitue donc une faute et l’octroi de dommages moraux est justifié.
De plus, la Cour d’appel profite de ce jugement pour rappeler que seuls une atteinte intentionnelle, un état d’esprit qui dénote une volonté de causer les conséquences de sa conduite ou une connaissance des conséquences de sa conduite ouvrent la porte aux dommages punitifs. Les dommages punitifs ne sont donc pas justifiés dans ce cas.
La Cour d’appel accueille partiellement l’appel et condamne Dre Tardif et SSQ à payer à Mme Dubé une somme de 5 000$ chacun à titre de dommages-intérêts.